Le carrefour des métèques V : Roland Topor

par Philippe Krebs,    

 

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Les choses sales

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Roland Topor

En trublion de l’art, en pourfendeur des normes, en dynamiteur du bon goût, en frère des « monstres », de ceux qu’on nomme les déshérités, Topor, à force d’avoir tant brouillé les pistes, a rendu sa perception d’autant plus difficile ; considéré à raison comme un très grand dessinateur, dans la lignée des Breughel, Bosch, Rembrandt, Goya et autres Callot, le public a délaissé à tort une création littéraire originale et sans concession, un remède actif contre l’angoisse.
« Je sais que nous serons quelques-uns à lui devoir de bien agréables « moments de choc » (dixit Jacques Sternberg qui fut le premier à le découvrir).
Pour beaucoup Topor fut une lumière. Il avait choisi d’être sa propre terre et de choisir comme un jardinier ce qu’il y ferait pousser. « La plupart des livres qui sont faits pour les enfants sont tout à fait schizophrènes. L’image de la vie que l’on y transmet est sans sexe, sans merde ou, comment dit-on ? sans choses sales. Mais je ne veux pas être schizophrène, pas cinglé non plus, et vivre dans un monde que je construis. C’est pourquoi j’ai décidé de jouer avec la réalité et ma peur. » (Roland Topor, Le Monde, 23/24 février 1986).
Ecouter Topor, c’est se regarder dans le miroir déformant de sa propre réalité tordue par l’angoisse, corrodée par la peur, submergée de tabous. Il est amusant et significatif de noter qu’à l’entrée « analité » dans l’encyclopédie Universalis, Topor soit le seul auteur présent. Pourtant :

« - Dans un texte intitulé « Topor. Si j’étais moi », vous faites le portrait horrible d’un Topor tel que le public l’imagine. Topor effraie-t-il ?
-  R. Topor : J’ai à peine exagéré en disant qu’ils me considèrent comme un obsédé sexuel, une brute, un psychopathe, un mal poli, sous prétexte que je dessine des choses qui les choquent ! Mais auxquelles ils pensent tout le temps...
-  Vous voulez dénoncer les aspects importants que le monde occulte, tels que la scatologie, la schizophrénie, le masochisme, la mort, le sexe, l’animalité !...
-  R. Topor : La question que je pose, c’est : est-ce qu’on les occulte en permanence ? (...)
-  Et le sexe ?
-  R. Topor : En vingt ans, les choses ont beaucoup évolué. J’ai connu une époque où les poils étaient interdits. Il existait même un métier de « retoucheur photo » qui consistait uniquement à effacer les poils pubiens. (...) Hara-Kiri (et toute la presse) était soumis à la commission de protection de l’enfance. Tout ce que cette dernière jugeait obscène, morbide ou scato pouvait attirer de gros ennuis. Maintenant c’est l’époque où on voit le sexe et la muqueuse...d’une réalité pourquoi le cacher ? Après tout ça fera des traumatismes moins grands que le jour où on découvre à quoi ressemble le corps humain ! (...)
-  Et le reste, ce qui choque encore dans vos dessins ?
-  R.T. : La mort, le fantastique, l’animalité... Bon, moi je n’ai jamais dessiné pour prôner tout ça. Simplement on est gavés d’images, de pubs, qui nient la réalité humaine et transforment l’homme en une espèce d’ange. Je me méfie du côté angélique. Comme par hasard, dans les régimes autoritaires, quand on essaie de réduire l’homme, on s’attaque à son côté animal, à quelque chose qui ressemble à l’âme. En Union soviétique, on déteste la psychanalyse, on refuse que les gens manifestent des niveaux de conscience différents, etc. Et on essaie de faire l’homme nouveau. Moi, ça me donne des boutons. Parce que l’homme nouveau c’est une bête quand il n’est plus un animal...
-  Et la scatologie ?
-  R.T. : Je ne suis pas favorable à ce que tout le monde fasse caca devant tout le monde dans la rue, partout et qu’on en mange ! Mais simplement, là encore, la volonté de créer des interdits, des tabous correspond à une idée de l’ordre. L’ordre s’oppose d’une certaine façon à la merde. Or, je trouve que la merde, c’est proche de la vie, alors que l’ordre est proche de la mort. Or, comme ce que je déteste le plus est la mort, je le dis. Le côté « clean » m’ennuie. Et m’inquiète. » (R. Topor, entretien avec M. Ch. Hugonot, pour Les Nouvelles littéraires, février 1986, pp. 68/69).

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Tauromachie

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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